Au théâtre dernièrement

J’ai de nouveau pris beaucoup de retard dans mes compte-rendus de spectacles.
Le boulot occupe un peu trop mon esprit même lorsque je ne suis pas au bureau, je manque d’énergie, et parfois c’est la simple envie de prendre la plume qui me fait défaut.

Empty moves

Mais voilà, mercredi soir nous avons vu un spectacle incroyable et forcément l’envie de vous en parler a été presque immédiate (mais il était 23h15, j’avais le nouvel iPhone de Mr Papillon à configurer… oui, ça y est, il est entré dans le XXIème technologique 🙂 ).
Le spectacle en question c’est « Empty moves » (I, II et III) d’Angelin Preljocaj, par sa compagnie.

On va remettre les choses au clair tout de suite, ces « moves » sont tout sauf « empty ». « Free » – dans tous les sens du terme: gratuits et libres – sans aucun doute, mais absolument pas vides.
J’ai pris une claque, là, assise dans mon fauteuil au troisième rang du Théâtre Sarah Bernhardt. Et une claque multi-facettes qui plus est.
Un niveau de danse spectaculaire, une performance physique hallucinante, un plaisir de danser comme rarement vu sur une scène.
Parce que oui, les 4 danseurs ont eu l’air de prendre un pied d’enfer en dansant pendant 1h45 sans interruption. Des sourires, des clins d’œil, une complicité tangible, une énergie individuelle et de groupe folle, bref une troupe magnifique et dont on sent qu’elle fait son métier autant avec son corps qu’avec son cœur.

Et parlons de la chorégraphie et de l’histoire de ce ballet construit en continu depuis 2004.
Son titre est une réponse (ou un hommage?) à une œuvre sonore de John Cage de 1977 intitulée « Empty Words ». L’enregistrement de cette performance – un poil agitée, et à l’italienne s’il vous plait – sert de support sonore au ballet.
L’oeuvre de Cage ne raconte rien. Enfin, raconte quelque chose (un texte du poète américain David Thoreau) mais de manière incompréhensible. Le ballet ne raconte donc pas d’histoire, il n’y a rien à y comprendre. D’où « l’emptiness » des titres.
Mais si le ballet n’a pas d’histoire précise à nous raconter, il nous fait malgré tout passer par beaucoup de sensations et sentiments.
Cela faisait longtemps que je n’avais pas tant souri ou ri pendant un spectacle de danse que pendant celui-ci. Cela faisait très longtemps que je ne m’étais pas extasiée de la sorte, que je n’avais pas autant guetté les trouvailles suivantes de l’auteur et de ses interprètes.

Je crois que lorsqu’on libère un très grand chorégraphe de la contrainte de devoir raconter et servir un argument précis et qu’on le laisse ne faire que de la danse, on ouvre la porte à une créativité encore plus grande et encore plus jouissive.
Angelin Preljocaj est un chorégraphe extraordinaire, de la trempe des Pina Bausch ou Merce Cunningham qui montre que servir son art est une obsession constante et aime ses danseurs.
Il faudrait que je vous parle de ces gestes parfaits dignes des plus grands artistes classiques ; de ces assemblages quasi magiques de corps qui se touchent, se parlent, glissent les uns sur les autres, s’emportent, se guident ; de ces sauts qui auraient plu à Noureev ; de ces pas de deux sublimes ; de ces pantomimes facétieuses et amusantes mais j’avoue je ne saurais pas leur faire justice en les décrivant. Allez voir ce spectacle, c’est la seule solution!

Avant de finir, un mot sur la performance de John Cage: elle était bizarre, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais ce n’est pas elle qui est intéressante au final, ce sont les réactions du public italien qui la rendent géniale. Ça s’énerve, ça crie, ça siffle, ça fait de la musique avec les sièges du théâtre, bref, ça vit pendant que John Cage poursuit sa performance de 2h totalement imperturbable. J’ai eu l’impression que cette bande son n’était là que pour nous « hypnotiser » et laisser notre cerveau se focaliser complètement sur les 4 danseurs.

Voilà, « Empty Moves » est au Théâtre de La Ville jusqu’au 28 Février. Je crois que c’est sold out, mais si jamais il y a une tournée ou si vous vivez à Aix en Provence (là où est basée la compagnie Preljocaj), je ne peux que vous recommander de prendre des places.

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Avant cela nous avions vu une pièce très très étrange: « Six personnages en quête d’auteur ».
Cette pièce signé Luigi Pirandello est la dernière mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota, le brillant directeur du Théâtre de la Ville, avec la troupe du théâtre avec laquelle il travaille toujours. Enfin dernière, façon de parler, Demarcy-Mota ne cessant de prendre et reprendre cette pièce qui par ailleurs voyage beaucoup (elle doit être jouée à Singapour prochainement ai-je lu)
Comme pour « Rhinocéros« , « Victor ou les enfants au pouvoir« ,  « Ionesco, suite » et « Le faiseur« , Emmanuel Demarcy-Mota a choisi un thème universel, toujours éminemment moderne et signe une mise en scène ultra-léchée qui m’a beaucoup plu.

L’idée de la scène qui s’étend jusque dans le public amplifie encore l’impression de mise en abîme du texte et de proximité de cette histoire pourtant hautement improbable. Les éléments du décors sont simples et très communs, mais complétés de voiles qui font et défont l’espace, voilent et dévoilent l’action et de lumières qui façonnent les lieux et hantent les visages servent à la perfection l’intrique et la mise en scène.
Mise en scène brillante donc, interprétation évidemment impeccable, avec des coups de cœur (et de peur tant les personnages sont parfois glaçants) pour Hugues Quester, le Père ; Valérie Dashwood, la Belle-Fille séduisante et venimeuse et Alain Libolt, le Metteur en Scène. Comme les danseurs de Preljocaj sont des artistes incroyables, il en est de même ici avec la troupe du Théâtre de la Ville.

Parce que venons en au « challenge » de ce spectacle: le texte qui met souvent mal à l’aise tout en étant assez génial.
Imaginez un peu une pièce de théâtre, jouée par des comédiens sur la scène d’un théâtre dont le sujet est l’histoire d’une troupe de théâtre en train de répéter une pièce avec son metteur en scène et soudain envahis par six personnages laissés en plan en cours de création par leur auteur et qui en cherche un nouveau pour résoudre leur intrigue.
Une pièce sous forme de Matriochka, vous voyez?

Il se trouve que l’intrigue abandonnée de nos personnages en quête de bonne âme pour les finir est tragique et assez glauque, qu’ils ont de méchants et sordides conflits familiaux non réglés et vont se montrer assez cruels avec notre troupe de comédiens qui tentent de s’approprier leurs rôles et histoires.

Cette pièce parle bien évidemment du théâtre, du travail de création, de l’appropriation et de l’interprétation, mais devant le malaise que certains passages ont suscité dans le public, bien sûr que la pièce nous parlait aussi de nous, de la construction de notre identité, de notre tentative d’être le plus possible les acteurs et les maîtres de notre existence.

Nous sommes ressortis de là assez secoués. Si vous y allez, allez-y en connaissance de cause et en ayant plutôt la patate.

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Pour finir, un autre spectacle générateur de malaise: Don Giovanni de Mozart, vu à l’Opéra Bastille début Février.

Rien de gênant dans l’œuvre de Mozart, rassurez-vous, c’est toujours aussi sublime.
Et le Don Juan de ce soir là était fabuleusement servi par Erwin Schrott (comme toujours: je n’y connais rien, mais j’ai adoré l’interprétation et la voix de ce chanteur), dangereusement séduisant à souhait.

Non le malaise est venu de la mise en scène de Michael Haneke, parfaite dans la première partie du spectacle; nettement moins bonne et un peu trop tirée par les cheveux ensuite.
Nous avons passé tout le premier acte à avoir l’impression que l’intrigue se déroulait au siège du FMI à Washington ou au Sofitel de New-York et que le Don Juan devant nous était un potentiel présidentiable français aux appétits sexuels un poil trop développés (doux euphémisme).

La version de Don Juan de Mozart est très noire. Pleine d’humour, mais très cynique et sombre aussi. Son Don Giovanni est un vrai prédateur sexuel.
Cet homme est prêt à tout – et même au pire – pour obtenir son plaisir.
Il était donc très tentant et très bien vu de le projeter au XXIème siècle, de le vêtir en costume-cravate et de le faire s’en prendre aux femmes de ménage de ce grand building de verre très aseptisé et sans âme.

Nous avons trouvé que la mise en scène ne fonctionnait plus aussi bien pendant le second acte et que la fin était assez loupée, mais cette version reste intéressante à voir. J’ai adoré l’humour glacial de Michael Haneke.
« Don Giovanni » sera de nouveau à l’affiche la saison prochaine, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Bonne journée les amis!

5 réflexions sur “Au théâtre dernièrement

  1. Quel bonheur de te lire à chaque fois… J’ai aussi été totalement émerveillée par cette création de Preljocaj. Et cela m’a rendue très heureuse car, si c’est un chorégraphe que j’adore depuis des années, j’avais trouvé son « Ce que j’appelle oubli » scandaleusement mauvais… Et, là, l’état de grâce retrouvé… Quel bonheur!! J’en profite pour te conseiller de prendre des places pour la clôture de l’amour en juin aux bouffes du Nord. Une pièce tout simplement sublime et qui m’a fortement ébranlée. Encore mille bravos et mille mercis pour ton blog! Source inépuisable de plaisir pour la jeune prof de lettres amoureuse des chaussures, du footing, des voyages et bons petits plats que je suis!

  2. J’ai vu le spectacle de Preljocaj que j’adore…. Je suis sortie du théâtre de la ville énervée comme jamais. Quelle idée d’avoir mis cette bande son ! J’ai trouvé ça insupportable (dommage que je n’aie pas eu de boule Quies sur moi). Les commentaires du public italien…. tout ce que je déteste. Une lecture plus sobre de Cage aurait fait de cette chorégraphie un chef d’oeuvre. Quel gâchis.

  3. Quel plaisir de te relire! L’opéra est une révélation assez récente pour nous. Je n’y connais absolument rien, mais j’adore me faire embarquer pour 2 heures de spectacle. La semaine dernière nous avons vu l’Enlèvement au Sérail de Mozart et c’était magique, il n’y a pas d’autre mots. Et je ne te raconte pas quand en septembre nous avons vu Turandot (en version concert en plus, je n’ai pas fait attention au moment de la réservation et nous avons eu un peu peur en voyant qu’il n’y aurait pas de mise en scène…) quand est arrivé le Nessun Dorma, je t’avoue que les larmes ont coulé d’émotion…

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