Un trésor national

C’est en écoutant la chronique de François Morel « un trésor national » que j’ai su qu’il fallait que nous allions voir « Le Père », la dernière pièce de théâtre de Florian Zeller.

Si vous me lisez depuis quelques temps vous savez combien j’aime et admire le travail de Florian Zeller. Chaque année je guette l’annonce de sa nouvelle pièce.
J’aime son temps, j’aime son amour pour ses congénères, j’aime l’acuité de son regard sur le monde qui l’entoure, j’aime sa manière de construire ses pièces.

« Le Père » n’est pas une pièce facile, loin de là.
Comme « La Mère » il y a 2 ans, cette pièce est une pièce sur la perte. La perte de soi-même cette fois.
Une fois encore son héroïne s’appelle Anne. Elle n’est plus la mère, elle est la fille. Une fille dont le papa vieillissant perd la boule comme on dit chez moi.

Pendant toute la pièce j’ai pensé à ma Maman et celle de Mr Papillon. Nos mamans qui dorlotent et ont dorloté nos grands-parents qui s’éteignent tout doucement, qui se perdent un petit peu plus chaque jour.
J’ai pensé à ma Mamie adorée dont le cerveau lui joue des tours, dont la mémoire prend de drôle de raccourcis, ma petite Mamie si fragile, si menue dans son fauteuil.

André est le papa de Anne et Louise. Un homme fort, brillant, drôle, jadis un peu craint par sa grande fille. Un homme digne.
Mais André – Robert Hirsch impeccable, parfait – vieillit, André perd ses affaires, André oublie les gens (et même son gendre. Et même que sa fille cadette n’est plus), André perd le fil des jours. André ne peut plus vivre tout seul.

Et c’est à tout cela que nous assistons… Du moins… Enfin…
C’est là la force et l’intelligence fabuleuses de Florian Zeller: nous ne savons jamais vraiment à travers les yeux duquel de ses personnages nous regardons la scène. La voyons-nous vraiment avec les yeux de Anne ou bien voyons-nous tout à travers ceux – perturbés – d’André?
Nous n’assistons qu’à des bribes de quelques scènes, dans le désordre. Nous voyons André se battre, résister, relever le menton avec un petit air bravache. Nous voyons le chagrin immense de Anne, son épuisement.

Mais pas de pathos ici non plus, on ne cherche pas à nous tirer des larmes à tout prix.
S’il y en a c’est parce que la pièce nous met devant les yeux une situation connue ou vécue. C’est parce qu’en André ou Anne on se reconnaît ou on voit un visage connu et aimé.

J’ai en fait surtout eu l’impression que Florian Zeller voulait nous aider à regarder ce qui nous attend, ce à quoi nous serons confrontés un jour, peu importe quel sera notre rôle dans cette histoire triste et personnelle.
Le théâtre nous sert cette fois-ci à appréhender notre vie avec un peu de recul, avec une saine distance qui nous permet de regarder les choses en face sans détourner le regard, sans flouter la réalité ou sans enjoliver la réalité pour ne pas trop souffrir ou faire trop souffrir.

Vieillir et mourir sont des étapes difficiles de nos passages sur Terre, mais difficile ne veut pas dire qu’il faille les minimiser ou les cacher sous le tapis. Cela veut juste dire qu’il faut s’y préparer, vraiment.

Nous sommes sortis du théâtre profondément émus (les acteurs ont été applaudis pendant de très très longues minutes par un public extrêmement touché par ce qu’il avait vu) et avec l’impression que la pièce nous avait fait avancer et mûrir un peu.
Le théâtre aide à vivre…

5 réflexions sur “Un trésor national

  1. Un peu à l’image du décor d’Emmanuelle Roy que transfigurent les lumières d’Alban Sauvé, chaque scène introduit des glissements subtils. Ladislas Chollat excelle à animer ces pièces du puzzle en s’appuyant sur une distribution remarquable, dans les justes atours imaginés par Jean-Daniel Vuillermoz. Parfois, il figure la confusion d’André et Sophie Bouilloux, l’infirmière, peut passer pour Anne. De même, Éric Boucher peut-il se faire étrange et même… étranger au monde de celui qui n’arrive plus à donner du liant à ce qu’il voit, entend, vit, subit ou se remémore. Dans la partition d’une aide-soignante à domicile, Élise Diamant offre sa touche enjouée et solaire.

  2. Très bel article, très belle ode au théâtre. J’adorerais y aller mais j’ai peur que cette pièce me touche un peu trop en ce moment et que je ne sache pas en apprécier les qualités littéraires à leur juste valeur.
    Mais tu donnes des idées de sorties culturelles sympas.

  3. C’est un très bel article que tu nous offres là. Mais comme Efabie, je sais que je ne pourrais pas aller voir cette pièce… Au cinéma c’est déjà pas évident, mais le théâtre annule cette distance que procure le grand écran, et j’ai bien peur que l’émotion ne soit trop forte…

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