Parmi les nuages d’argent

Jeudi après-midi, alors que le compte à rebours avant Noël commençait sa course folle, les premières «Susan» (seconde édition) de Chloé refaisaient leur apparition sur Twitter (cela commence toujours sur Twitter), un intéressant échange a eu lieu avec quelques blogueuses dont j’aime autant la plume que le style. Et il était intéressant de voir combien ce coup marketing assez cynique lorsque l’on regarde le tarif exorbitant de ces bottines décevait des fans inconditionnelles de cette jolie maison et de vraies accros aux souliers (quels que soient ces souliers : baskets ou escarpins, boots rock ou ballerines de petits rats).

J’ai fini mon après-midi en me disant qu’un luxe aussi cynique n’avait plus rien de luxueux. Une grande maison qui fait un coup de buzz en rééditant un modèle presque mythique en le faisant à l’identique mais en en doublant le prix y laisse des bouts de son âme de marque de luxe et saborde ce qui aurait pu être un joli mythe.
Pourquoi ne pas les avoir intégrées dans la ligne classique de la maison, leur donnant ainsi la vraie aura d’un beau produit devenu intemporel et en se contentant d’en créer des modèles exceptionnels et extraordinaires justifiant des prix fous ? Ils auraient ainsi créé leur Pirate boots ou leur Pigalle.
Pourquoi ne pas avoir attendu une petite décennie pour ressortir une belle réinterprétation de ce modèle qui a fait rêver plus d’une demoiselle, à la façon de Jimmy Choo qui a recréé une nouvelle version de leurs modèles emblématiques ?
Adieu le mythe, adieu l’idée d’un luxe élégant et à l’abri des modes et du temps.

Quelques heures plus tard je me suis retrouvée face à ce qui constitue finalement un immense luxe : dans la salle du Théâtre de la Ville remplie j’ai pu applaudir avec Holly et Mr Papillon les danseurs de la Merce Cunningham Dance Company au terme d’un programme exceptionnel et éblouissant.
Cette grande et mythique compagnie est en train d’achever la tournée au cours de laquelle elle tire sa révérence.
Dans quelques jours, après quelques représentations de gala à New-York, la compagnie sera dissoute, selon le souhait de son génial créateur.
C’est étrange et très émouvant d’applaudir des danseurs que l’on a vus évoluer à plusieurs reprises sur cette scène en sachant que c’est la dernière fois. Tous ces spectacles ont été d’une telle beauté, d’une telle force, ont suscité un tel émerveillement et ont été interprétés avec tant de talent que d’un seul coup on réalise qu’on a eu une chance incroyable de les voir « en vrai ». D’entendre le bruit des pieds nus qui glissent sur la scène, la respiration des danseurs…

Ce sont trois ballets exceptionnels que nous avons vus, marquant trois grandes périodes dans l’œuvre de Merce Cunningham : « Duets » (1980), « Rain forest » (1968) et BIPED (1999).
Trois chefs d’œuvre.

« Duets » montre à quel point Cunningham a dû être un danseur classique exceptionnel, à quel point lui et sa compagnie maîtrisent les pas et les codes classiques, pour mieux les moderniser, pour mieux créer au-delà d’eux. Des couples totalement égalitaires, des pas imprégnés de pas de deux classiques mais qui ne le sont pas du tout. Une danse pleine d’énergie, pleine d’amour, accompagnée de percussions faisant tantôt penser à un cœur battant, tantôt aux castagnettes d’un ballet andalous qui serait entré dans le XXIème siècle avant l’heure. Époustouflant !

 Ah les nuages d’argent d’Andy Warhol…
Si la musique de « Rain forest » n’a rien de poétique et est parfois douloureuse pour les oreilles avec ses stridences mécaniques, le décor de ces gros ballons argentés semblables à de gros oreillers qui voltigent sur le plateau et le ballet le sont infiniment.
Poétique, sensuel, viscéral, organique, « Rain forest » m’a émerveillée. Les danseurs évoluant habillés de justaucorps couleur chair au milieu de ces nuages argentés m’ont fait penser à des petits êtres perdus au milieu d’un monde électronique, aux premiers hommes d’abord apeurés par leur environnement avant d’oser s’y aventurer puis de se l’approprier.
Voir les nuages quitter la scène pour aller taquiner l’équipe des musiciens m’a bien amusée. Voir cette équipe rester complètement stoïque face à l’arrivée anarchique de ces drôles de ballon était un régal pour les yeux.

Et la cerise sur ce gâteau absolument parfait fut « BIPED », en final.
Poésie, beauté à couper le souffle, mélancolie ne se sont jamais aussi bien mariées avec les nouvelles technologies que dans ce ballet. Sur fond de violoncelle, les danseurs vêtus d’étonnants costumes métallisés, ont dansé derrière un écran transparent sur lequel étaient projetées les images de mouvements de danseurs capturés par je ne sais quelle méthode magique.
Sublime, absolument sublime. Je frissonne en repensant à cette perfection attrapée au vol pendant quelques minutes.

Merce Cunningham – BIPED

Merce Cunningham nous a offert de l’émerveillement, de l’étonnement.
Voir ses créations dansées par sa troupe a été – au-delà d’un plaisir immense – un véritable honneur.
Merci Mr Cunningham, et bravo à vos incroyables danseurs.

Et suite à tant de beauté, il ne me reste qu’à vous souhaiter un très beau Noël auprès de ceux qui vous sont chers ♥♥♥♥♥

2 réflexions sur “Parmi les nuages d’argent

  1. J’ai découvert votre blog récemment et je voulais tout simplement vous remercier pour vos billets danse et théâtre, ils sont à la fois érudits et d’un style agréable, j’adore!
    Bonne fin d’année!

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