Florence sur le quai

J’aime ces périodes enthousiasmantes où je ne lis que des livres que je referme à regret et dont je me dis qu’ils sont trop courts.
A l’heure où je vous écris je viens de terminer « Les derniers jours de Stefan Zweig » dont je vous reparlerai bientôt. Je suis sous le charme.

Le livre dont je voudrais vous parler aujourd’hui est probablement l’une des meilleures gifles que j’aie reçue de toute mon existence.
Je ne parle pas de gifle physique (connais pas cette forme là), mais de ces claques intellectuelles, culturelles ou psychologiques que la vie nous donne parfois. Certaines ont des effets dévastateurs, d’autres au contraire sont salvatrices, de violents réveils qui nous évitent de trop nous endormir dans notre cocon douillet.

Le livre de Florence Aubenas – « Le quai de Ouistreham » – est de ces claques bénéfiques.

Si son écriture est aisée, fluide et d’une tendresse infinie avec ses « personnages », son sujet est d’une dureté rarement croisée dans mes lectures.
Il me semble que le dernier ouvrage qui m’ait autant secouée était « Les bienveillantes ». Pour d’autres raisons bien sûr, mais le sentiment d’horreur et d’incompréhension a finalement été assez proche.

On sait que la misère existe dans notre beau pays. On sait qu’il y a des gens qui travaillent comme des fous pour des clopinettes et qui vivent dans des conditions inacceptables. On le sait, mais en même temps j’ai le sentiment qu’on ne prend pas vraiment le temps d’y penser, d’y réfléchir, d’essayer d’imaginer comment cela se traduit dans le quotidien.
La misère des gens qui travaillent en situation précaire reste un concept abstrait, une réalité finalement quasi virtuelle.

Le choc ressenti à la lecture du livre de Florence Aubenas est donc grand et violent. Car la réalité devient concrète, physique, profondément humaine.
Les travailleurs précaires ont un prénom ; une vie que l’on entrevoit à travers les pages ; des boulots épuisants, humiliants, frustrants, avilissants. Des boulots qui pourraient ne pas être si destructeurs pour ceux qui les font si le monde du travail ne s’était pas tant déshumanisé, si rentabilité n’était pas devenu le seul maître-mot au sein des entreprises.

De tous les chocs ressentis à la lecture de cet indispensable ouvrage, je crois que ce qui m’a le plus bouleversée c’est le fait que cette pauvreté matérielle soit quasi systématiquement accompagnée d’une grande misère intellectuelle.
Et ma propre naïveté m’a énervée: comment puis-je imaginer 2 secondes que des gens qui passent leur temps à se battre pour gagner les quelques euros (et pas des dizaines!) nécessaires pour finir la semaine aient le temps ou l’envie d’aller emprunter un livre dans une bibliothèque ou visiter un musée (même gratuit)?
Prendre du temps pour se cultiver est bon pour ceux qui ne se demandent pas ce qu’ils vont manger le surlendemain ou qui va les employer la semaine suivante.
Lorsque la priorité et l’obsession quotidienne est de payer son loyer, remplir son frigo et trouver un 4ème petit boulot, les lieux d’évasion et de rêve deviennent les supermarchés et les jardineries.
J’en aurais pleuré.

J’aurais pleuré aussi de ces gens qui doivent attendre la chute de toutes leurs dents pour espérer un soin gratuit, de ce système de recherche d’emploi incapable de déceler l’intelligence chez les personnes qu’il doit assister et se contente de lire bêtement un CV (pas de diplôme = bête  et incompétent si on résume grossièrement. Discuter avec la personne? Mais pour quoi faire???).
Les personnes en recherche d’emploi craquent, les équipes de Pôle emploi aussi. Rien d’étonnant lorsque observe la logique du système qui m’a rappelé le film « Brazil ».  Son seul et unique objectif semble être de broyer les gens qui ont le malheur d’y mettre les pieds, peu importe le côté de la barrière derrière lequel ils se situent.
Rentabilité, sainte rentabilité…

Le travail de Florence Aubenas est exemplaire. Grâce à ses mots elles redonnent de la dignité aux travailleurs précaires  qu’elle a rencontrés et côtoyés. A eux et à toutes les personnes dans cette situation.
Ce faisant elle nous fait également un beau cadeau en nous obligeant à regarder la réalité en face… en nous obligeant à la regarder tout court, sans détourner le regard, sans passer à autre chose en 30 secondes parce que c’est trop désagréable et loin de notre quotidien.

J’ai refermé ce livre en espérant que tous nos hommes politiques l’aient lu et en me disant qu’il a toute sa place dans les bibliothèques des écoles, lycées et fac. Achetez-le, empruntez-le, mais surtout, lisez-le, c’est une lecture indispensable!

3 réflexions sur “Florence sur le quai

  1. Dans la même veine de journaliste qui s’immerge dans un milieu qui n’est pas le sien, « dans la peau d’un noir » qui raconte la vie des américains noirs dans les années 50 est à lire.

    Une aussi grosse claque que le livre de F.Aubenas 😉

    Sympa le Philippe du livre d’Aubenas, non ?

  2. merci miss nahn pour ces belles lignes et ces recommandations bouleversantes, je le lirai sans faute

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